Médiation préalable obligatoire et contentieux indemnitaire dans la fonction publique territoriale : focus sur l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes en date du 23 octobre 2020

Médiation préalable obligatoire et contentieux indemnitaire dans la fonction publique territoriale (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262, classé C+)

 

1. Afin de favoriser le recours au modes alternatifs de règlement des différends, le IV de l’article 5 de la loi n°2016-1547 de modernisation de la justice du XXIème siècle en date du 18 novembre 2016 dispose que :

« IV.-A titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi, les recours contentieux formés par certains agents soumis aux dispositions de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires à l’encontre d’actes relatifs à leur situation personnelle et les requêtes relatives aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur des travailleurs privés d’emploi peuvent faire l’objet d’une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat »

Initialement prévue pour une durée de quatre ans, l’expérimentation envisagée a été prolongée par l’article 34 de la loi n°2019-222 en date du 23 mars 2019 portant programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Dès lors, l’obligation de médiation préalable est expérimentée jusqu’au 31 décembre 2021 et les règles fixées par le décret n°2018-101 en date du 16 février 2018 mettant en œuvre cette expérimentation continuent de s’appliquer.

Son article 1er fixe notamment une liste de décisions dont la contestation devant une juridiction doit être impérativement précédée d’une tentative de médiation.

Parmi ces décisions, figurent les :

« 1° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à l’un des éléments de rémunération mentionnés au premier alinéa de l’article 20 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ;

2° Refus de détachement, de placement en disponibilité ou de congés non rémunérés prévus pour les agents contractuels aux articles 20, 22, 23 et 33-2 du décret du 17 janvier 1986 susvisé et 15, 17, 18 et 35-2 du décret du 15 février 1988 susvisé ;

3° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à la réintégration à l’issue d’un détachement, d’un placement en disponibilité ou d’un congé parental ou relatives au réemploi d’un agent contractuel à l’issue d’un congé mentionné au 2° du présent article ;

4° Décisions administratives individuelles défavorables relatives au classement de l’agent à l’issue d’un avancement de grade ou d’un changement de corps obtenu par promotion interne ;

5° Décisions administratives individuelles défavorables relatives à la formation professionnelle tout au long de la vie ;

6° Décisions administratives individuelles défavorables relatives aux mesures appropriées prises par les employeurs publics à l’égard des travailleurs handicapés en application de l’article 6 sexies de la loi du 13 juillet 1983 susvisée ;

7° Décisions administratives individuelles défavorables concernant l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions dans les conditions prévues par les articles 1er des décrets du 30 novembre 1984 et du 30 septembre 1985 susvisés »

 

Aux termes du 3° de cet article 1er, les agents de la fonction publique territoriale sont expressément visés :

« 3° Les agents de la fonction publique territoriale employés dans les collectivités territoriales et les établissements publics locaux situés dans un nombre limité de circonscriptions départementales, choisies en raison de la diversité des situations qu’elles présentent et dont la liste est fixée par un arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé des collectivités territoriales, et ayant conclu avant le 1er septembre 2018 avec le centre de gestion de la fonction publique territoriale dont ils relèvent une convention lui confiant la mission de médiation préalable obligatoire en cas de litige avec leurs agents ».

L’arrêté du 2 mars 2018 relatif à l’expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique territoriale est venu préciser les circonscriptions départementales concernées.

Parmi elles, figurent notamment les départements de la Loire-Atlantique, du Maine-et-Loire, de la Vendée, de la Manche, des Côtes-d’Armor, de l’Ille-et-Vilaine et du Finistère ; départements relevant du ressort territorial de la Cour administrative d’appel de Nantes.

Depuis le décret n°2020-516 du 5 mai 2020 modifiant le ressort des cours administratives d’appel, le tribunal administratif d’Orléans ne figure plus dans ce ressort.

2. C’est dans ce contexte que la Cour administrative d’appel de Nantes a été saisie, le 8 avril 2020, d’une requête visant à contester l’ordonnance du Président de la 1ère Chambre du Tribunal administratif d’Orléans en date du 11 février 2020.

Cette ordonnance rejetait comme irrecevable une demande de première instance sollicitant l’annulation de la décision implicite du maire de la commune de Savigny-en-Veron (Indre-et-Loire) portant rejet de sa demande de versement d’une somme d’un montant de 103 620,40 €, outre la condamnation de la commune à lui verser cette même somme en réparation des préjudices subis du fait de son accident de travail.

Le Président de la 1ère Chambre a en effet considéré que la demande présentée était irrecevable faute pour la requérante d’avoir fait précéder son recours contentieux d’une médiation préalable obligatoire.

3. La Cour administrative d’appel de Nantes a annulé l’ordonnance en litige au motif notamment que la liste dressée à l’article 1er du décret n°2018-101 en date du 16 février 2018 était exhaustive.

En ce sens :

« les recours contentieux formés par les agents publics concernés par l’expérimentation de la procédure de médiation préalable obligatoire qui doivent être précédés, à peine d’irrecevabilité, d’une médiation, sont ceux qui sont formés à l’encontre des décisions énumérées par ces dispositions, c’est-à-dire les recours qui tendent à l’annulation ou à la réformation de ces décisions et non ceux qui tendent à la condamnation d’une collectivité publique au paiement d’indemnités en réparation de préjudices » (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262).

Autrement dit, seuls les recours tendant à l’annulation ou à la réformation des décisions énumérés à l’article 1er du décret précité doivent être précédées d’une tentative de médiation.

Les demandes indemnitaires ne sont pas concernées.

En conséquence, prenant soin de distinguer une éventuelle décision défavorable concernant l’aménagement des conditions de travail d’un agent et une demande indemnitaire en réparation d’un préjudice, la Cour administrative d’appel de Nantes juge que :

« Dès lors, contrairement à ce qu’a estimé le premier juge, le litige dont a été saisi le tribunal administratif d’Orléans, qui est un litige de nature indemnitaire, ne figurait pas au nombre des recours contentieux formés contre une décision défavorable concernant l’aménagement des conditions de travail des fonctionnaires qui ne sont plus en mesure d’exercer leurs fonctions » (C.A.A. Nantes, 23 octobre 2020, n°20NT01262).

Afin de procéder à un examen au fond, ce dossier a été renvoyé au tribunal administratif d’Orléans.

 

4. Il est toutefois à noter que l’absence d’une telle démarche de médiation préalable ne dispense pas l’agent public de solliciter de son administration qu’elle se prononce sur sa demande indemnitaire et ce, avant que le juge saisi ne statue sur sa demande.

 

Louis-Marie Le Rouzic

Avocat au Barreau de Nantes