Trouble du voisinage : perte de vue et d’ensoleillement
La construction d’une extension crée généralement des désagréments aux voisins déjà installés sur place.
Ces désagréments s’ils sont constitutifs d’un trouble ne sont pas, pour autant, constitutifs d’un trouble anormal du voisinage.
La Cour d’appel de MONTPELLIER a d’ailleurs estimé que l’obstruction d’une vue, à la supposer même « imprenable », ne constitue pas, à elle seule, un trouble anormal de voisinage :
« la vue dont jouit un propriétaire depuis sa maison n’est pas un droit susceptible en lui-même de protection tant qu’il n’y a pas de troubles dépassant l’inconvénient normal de voisinage.
Ainsi, en achetant un chalet implanté sur le lot No33 du « Lotissement du Lac», Les consorts Y… ne pouvaient ignorer que la « vue exceptionnelle sur le lac de MATEMALE et sur les Pyrénées » dont ils jouissaient n’était nullement garantie, et constituait un avantage précaire qui cesserait tôt ou tard lorsqu’une construction serait édifiée sur la parcelle voisine encore non bâtie du même lotissement, le fait que leur maison ait été édifiée en premier ne leur conférant aucune prééminence, aucun droit de s’opposer à des constructions ultérieures sur les fonds voisins.
En d’autres termes, la perte d’agrément – voire même de 25 % de la valeur de leur bien ainsi qu’ils le prétendent – pouvant résulter de la réduction de la vue causée par l’implantation du nouvel immeuble, ne peut être considérée en soi comme un trouble anormal ou excessif, dans la mesure où elle ne procède que de l’exercice du droit légitime du propriétaire voisin de construire dans le respect des règles en vigueur, sauf aux époux Y… à rapporter la preuve de circonstances particulières démontrant un abus de ce droit, générateur de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.
Or force est de constater qu’ils se bornent à faire valoir que leur vue s’arrête désormais à la façade de ce bâtiment qui masque le panorama, mais n’apportent aucun élément concret permettant de démontrer que ce trouble présente un caractère anormal ni que l’immeuble n’a pas été édifié conformément au permis de construire et aux prescriptions d’urbanisme. Au contraire, les photographies produites révèlent que la construction qui les prive en partie de la vue sur le lac n’est pas un bâtiment particulièrement inesthétique, ou encore d’une hauteur de nature à générer un sentiment d’enfermement, mais un chalet en bois d’un étage de belle facture apparente, dans le style du pays.
Ne rapportant pas dès lors la preuve de l’existence des troubles anormaux de voisinage qu’ils invoquent, les consorts Y… seront en conséquence déboutés de toutes leurs demandes. » (CA MONTPELLIER, 3 juin 2008, N°07/4081).
S’agissant de la perte d’ensoleillement, la jurisprudence a coutume de rappeler que les avantages dont bénéficie un propriétaire, tels qu’une vue dégagée ou un ensoleillement important, ne sont pas des droits acquis, sauf à rendre impossible toute évolution du tissu construit.
« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 6 avril 1993), que M. X… ayant édifié une construction en limite de sa propriété, contiguë à celle de M. Y…, ce dernier se plaignant d’une diminution de l’ensoleillement et de l’éclairement, l’a assigné en dommages-intérêts en invoquant un trouble anormal de voisinage ; (…)
Mais attendu que l’arrêt retient que M. Y… n’est pas fondé à se plaindre d’une diminution de l’ensoleillement et de l’éclairement de sa maison par suite de l’extension de la construction de M. X… en limite de sa propriété et de la perte d’un avantage nécessairement précaire au centre d’une agglomération très peuplée, cet inconvénient ne constituant pas en de telles circonstances un trouble anormal de voisinage ; » (Cass. Civ. 2, 3 mai 1995, pourvoi: N°93-15920)
La Cour d’appel de CAEN a d’ailleurs rappelé qu’en dépit d’une perte d’ensoleillement avérée, la construction d’un hôtel n’est pas de nature à justifier une action pour trouble anormal du voisinage.
« Ne constitue pas un trouble anormal de voisinage l’édification, sur un terrain jouxtant l’immeuble des revendiquants, d’un hôtel.
En effet, les propriétaires d’appartements n’ont d’une part aucun droit acquis opposable à la société d’investissement de bénéficier d’une vue sur la mer telle qu’elle empêche la construction d’un immeuble de 3 ou 4 étages. (…)
Enfin, sur l’ensoleillement, dans une zone relativement urbanisée, une perte d’ensoleillement en fin de soirée est dans l’ordre des choses, étant observé que la clarté peut continuer sans ensoleillement direct. » (Cour d’appel de Caen, 17 Mars 2009, N°07/03576).
Par un arrêt du même jour la Cour d’appel de MONTPELLIER a confirmé cette position :
« la perte d’ensoleillement, limitée, qui procède de l’exercice du droit légitime du propriétaire voisin d’édifier une maison, ne constitue pas, alors que les constructions sont situées dans un milieu urbain et constructible où nul ne dispose d’un droit acquis sur l’environnement et où chacun peut s’attendre à être privé d’un avantage en fonction de l’évolution du contexte, un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et ouvrant droit à réparation. » (Cour d’appel de MONTPELLIER, 17 mars 2009, N° 07/03576).
Jérôme MAUDET
Avocat au barreau de NANTES