L’octroi de la protection fonctionnelle par une commune à un élu ou à un ancien élu repose sur un double fondement juridique :
L’article 11 du statut général des fonctionnaires tel que déterminé par la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose que :
« (…) III.-Lorsque le fonctionnaire fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection. Le fonctionnaire entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection. La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ».
L’article L. 2123-34 alinéa 2 du code général des collectivités territoriales dispose quant à lui que :
« La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ».
Deux éléments importants ressortent de ces dispositions.
D’abord, la commune est tenue d’accorder cette protection à ses élus actuels ou passés lorsque ceux-ci font l’objet d’une poursuite pénale.
Ensuite, la commune peut refuser le bénéfice de cette protection si elle considère que la faute à l’origine de la condamnation est une faute personnelle dépourvue de tout lien avec le service.
L’octroi d’une protection fonctionnelle à tous les agents de la fonction publique, y compris territoriale, relève même d’un principe général du droit.
Le Conseil d’Etat juge en effet que :
« En vertu d’un principe général du droit qui s’applique à tous les agents publics, lorsqu’un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales, sauf s’il a commis une faute personnelle » (C.E., 11 février 2015, n°372359).
La notion de faute personnelle détachable du service est appréhendée de manière restrictive par la jurisprudence administrative.
A titre d’illustration, le Conseil d’Etat juge que :
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que les carnets de note en cause comportent essentiellement, outre quelques indications ayant trait à la vie privée de leur auteur, des informations recueillies par M. A à l’occasion de ses fonctions de directeur central des renseignements généraux et dont la vocation était d’être utilisées pour le service ; que si le fait d’avoir, après avoir quitté ses fonctions, conservé à son domicile des documents ayant une telle vocation constitue une faute, celle-ci, dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A ait conservé ces carnets en vue de s’en servir à des fins personnelles, n’a pas revêtu le caractère d’une faute personnelle, au sens des dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 ; que, par suite, en l’absence d’une telle faute, le ministre de l’intérieur était tenu d’accorder à M. A la protection statutaire qui résulte du troisième alinéa de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, à raison des plaintes déposées à son encontre ; qu’ainsi qu’il a été dit ci-dessus, les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l’encontre du fonctionnaire peuvent donner lieu à cette protection, même si cette plainte aboutit ultérieurement à un classement sans suite ; qu’ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, la décision de classement sans suite intervenue en l’espèce ne prive pas d’objet la requête de M. A ; que, dès lors, celui-ci est fondé à demander l’annulation, dans cette mesure, de la décision attaquée du 24 juillet 2009 » (C.E., 20 avril 2011, n°332255).
Cependant, il existe des exemples dans lesquels le juge administratif a confirmé le refus d’accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle.
La Cour administrative d’appel de Douai juge ainsi que :
« Considérant, ensuite, qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales, issu de la loi susvisée du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels : La commune est tenue d’accorder sa protection au maire, à l’élu municipal le suppléant ou ayant reçu une délégation ou à l’un de ces élus ayant cessé ses fonctions lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions ; qu’il résulte des termes mêmes de ces dispositions que, dans le cas où un élu ou ancien élu municipal qu’elles visent, fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui ont le caractère d’une faute détachable de l’exercice de ses fonctions, il ne peut bénéficier de la protection de la commune ;
Considérant qu’il résulte de l’instruction et des constatations de fait effectuées par le jugement susmentionné du Tribunal correctionnel de Dunkerque du 25 novembre 2005, lesquelles constatations sont revêtues de l’autorité absolue de la chose jugée, qu’au cours de l’année 1993, M. A a, en sa qualité de maire de la commune de Loon-Plage, signé des documents administratifs mensongers attestant de la bonne exécution, par des agents embauchés par contrats emploi-solidarité, de stages de formation qui, en réalité, ne s’étaient jamais tenus et ce, afin d’obtenir le versement de sommes d’argent par le CNASEA ; que le tribunal correctionnel, dont le jugement est sur ce point également revêtu de l’autorité de la chose jugée, a considéré que M. A ne pouvait ignorer, au vu des dates respectives de signature et de fin des stages, que les attestations d’exécution de stage qu’il signait, lesquelles attestaient systématiquement de la parfaite exécution d’un stage à une date bien antérieure à celle de la fin présumée de ce stage, étaient fausses ;
Considérant que, compte tenu de la gravité de ces agissements, de leur caractère intentionnel et de la nature particulière des fonctions alors exercées par M. A au sein de la commune de Loon-Plage, ce dernier doit être regardé comme ayant commis une faute personnelle, détachable de l’exercice des fonctions de maire de cette commune ; que, dès lors et s’agissant des poursuites pénales dont il a fait l’objet, il ne peut bénéficier de la protection de la commune dont s’agit en application des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales » (C.A.A. Douai, 3 mars 2011, 09DA00486).
Dans son arrêt en date du 4 avril 2016, la Cour d’Appel de Poitiers a notamment jugé que :
« Pour l’ensemble de ces motifs, les fautes retenues à l’encontre de R. M. ne sont pas détachables du service public de maire à l’occasion duquel elles ont été commises ».
La qualification retenue par le juge pénal ne préjuge toutefois pas de la qualification que peut retenir le juge administratif.
En effet le Conseil d’Etat a estimé que :
« Considérant qu’aux termes de l’article L. 2123-34 du code général des collectivités territoriales : » (…) La commune est tenue d’accorder sa protection au maire (…) lorsque celui-ci fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère de faute détachable de l’exercice de ses fonctions. (…) » ; que, pour l’application de cette disposition, présentent le caractère d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans l’exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité ; qu’en revanche ni la qualification retenue par le juge pénal ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l’intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé au maire qui en fait la demande » (C.E., 30 décembre 2015, n°391798 et même jour n°391800).
Le Conseil d’Etat a néanmoins eu l’occasion d’apprécier la situation d’un agent public, en l’occurrence un officier de marine, et jugé :
« qu’il résulte de l’instruction que l’accident a été causé par un manquement de M. A à ses obligations de sécurité et de prudence, pour avoir organisé un exercice de tir sans autorisation alors que les participants ne possédaient pas les qualifications requises et dans un bâtiment non prévu à cet effet ; que ce manquement, par sa gravité, est constitutif d’une faute personnelle détachable de l’exercice par l’intéressé de ses fonctions et justifiant qu’ait été mis à sa charge le remboursement de l’intégralité de la solde versée à la victime de l’accident pendant son indisponibilité ; que d’ailleurs, M. A a fait l’objet à raison de ces faits d’une condamnation par le tribunal correctionnel de Rennes » (C.E., 6 novembre 2009, n°311892).
Ainsi, ni le juge administratif, ni la collectivité ne sont liés par l’interprétation du juge pénal.
Il n’est pas anodin de rappeler que s’il n’est pas possible pour la commune de retirer le bénéfice de cette protection en raison de son caractère créateur de droit, il lui est possible d’abroger celle-ci pour l’avenir.
Le Conseil d’Etat juge en ce sens que :
« Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, lorsqu’il est saisi d’une demande d’un militaire sollicitant le bénéfice de la protection prévue par ces dispositions statutaires, le ministre de la défense ne peut refuser d’y faire droit qu’en opposant, s’il s’y croit fondé au vu des éléments dont il dispose à la date de la décision, le caractère de faute personnelle des faits à l’origine des poursuites au titre desquelles la protection est demandée ; que, dans le cas où, à l’inverse, il a accordé la protection, il peut mettre fin à celle-ci pour l’avenir s’il constate postérieurement, sous le contrôle du juge, l’existence d’une faute personnelle ; qu’en revanche le caractère d’acte créateur de droits de la décision accordant la protection de l’Etat fait obstacle à ce qu’il puisse légalement retirer, plus de quatre mois après sa signature, une telle décision, hormis dans l’hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude » (C.E., 14 mars 2008, n°283943 ; repris par C.A.A. Paris, 3 février 2015, n°14PA01512).
Le Conseil municipal peut donc décider d’abroger sa décision initiale.
Jérôme MAUDET
SEBAN ATLANTIQUE
Avocat au Barreau de Nantes spécialiste en droit public