Obligation des 1 607 heures et temps de travail des agents territoriaux : gare à l’injonction
1. Il ressort des dispositions de l’alinéa 1er du I de l’article 47 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique que :
« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l’article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l’emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu’au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d’un délai d’un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition ».
Cet article est utilement complété par les dispositions de l’article 1er du décret n°2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature selon lesquelles :
« La durée du travail effectif est fixée à trente-cinq heures par semaine dans les services et établissements publics administratifs de l’Etat ainsi que dans les établissements publics locaux d’enseignement.
Le décompte du temps de travail est réalisé sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures maximum, sans préjudice des heures supplémentaires susceptibles d’être effectuées.
Cette durée annuelle peut être réduite, par arrêté du ministre intéressé, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, pris après avis du comité technique ministériel, et le cas échéant du comité d’hygiène et de sécurité, pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail, ou de travaux pénibles ou dangereux ».
Cette disposition a été rendue applicable à la fonction publique territoriale par l’article 1er du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale aux termes duquel :
« Les règles relatives à la définition, à la durée et à l’aménagement du temps de travail applicables aux agents des collectivités territoriales et des établissements publics en relevant sont déterminées dans les conditions prévues par le décret du 25 août 2000 susvisé sous réserve des dispositions suivantes ».
La combinaison de ces dispositions obligeait les collectivités territoriales à définir les règles relatives au temps de travail de leurs agents au plus tard le 1er janvier 2022.
Un mois après cette échéance, l’absence d’exécution de cette obligation légale a fait l’objet d’une instruction attentive de la juridiction administrative saisie par le représentant de l’Etat ; obligeant les collectivités territoriales à adopter une délibération en ce sens.
2. Aux termes de cinq ordonnances en date du 31 janvier 2022 (2200066, 2200082, 2200117, 2200159, 2200141), le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil a en effet décidé d’enjoindre aux maires des cinq communes de Seine-Saint-Denis concernées « dans un délai de quarante jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de veiller à l’adoption, à titre provisoire, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre au préfet de la Seine Saint Denis pour l’exercice du contrôle de légalité».
Ces décisions font donc droit aux cinq demandes de suspension déposés par le Préfet de la Seine-Saint-Denis sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 554-1 du code de justice administrative et L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.
3. Pour parvenir à cette solution commune à cinq collectivités, le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil a, dans un premier temps, accompli un travail d’identification précise de la décision contestée par le Préfet de la Seine-Saint-Denis.
Ce dernier se bornait en effet à ne solliciter que la suspension de l’exécution des décisions des maires des collectivités visées refusant de lui transmettre les délibérations relatives au temps de travail et fixant les cycles de travail applicables aux agents des collectivités.
Afin de justifier de la recevabilité des demandes présentées devant le juge des référés, ce dernier a fait œuvre de pédagogie en raisonnant en plusieurs temps :
- il a d’abord repris l’historique des échanges effectués entre le Préfet et les communes concernées ;
- pour indiquer que les réponses apportées devaient s’analyser comme des décisions « de refus d’instituer dans les délais le nouveau dispositif du temps de travail prévu par la loi et de transmettre ainsi les documents réclamés au titre du contrôle de légalité» ;
- et ainsi justifier la recevabilité du recours du Préfet en ce que celui-ci « a nécessairement entendu demander également la suspension de la décision refusant de prendre une délibération, la carence persistante de la commune à transmettre les éléments demandés révélant en outre (…) le refus d’adopter la délibération sollicitée».
La recevabilité des demandes de suspension déposées par le Préfet de Seine-Saint-Denis établie, il revenait alors au juge des référés d’apprécier si « l’un des moyens invoqués paraissait, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué » au sens des dispositions de l’article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.
4. A l’issue d’une motivation succincte fondée sur les dispositions de l’article 1er du décret du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l’Etat et dans la magistrature, le juge des référés a ordonné la suspension des décisions contestées « jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa légalité».
Il a en effet retenu que
« En l’état de l’instruction, le moyen tiré de ce que la commune ne saurait se soustraire à l’obligation légale, créée par l’article 47 de la loi précitée, de définir les règles du temps de travail de ses agents dans les délais qu’elle fixe est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus attaquée ».
Conformément aux dispositions de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative aux termes notamment desquelles la juridiction saisie prescrit – lorsqu’elle est saisie de conclusions en ce sens et que sa décision implique que la collectivité en cause prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé – « cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution ».
Tel est le cas des cinq ordonnances rendues par le juge des référés lequel a :
- constaté que « la présente décision implique nécessairement qu’il soit procédé à l’adoption, provisoirement, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et à sa transmission au préfet de la Seine-Saint-Denis pour l’exercice du contrôle de légalité» ;
- Pour enjoindre les communes concernées « dans un délai de quarante jours à compter de la notification de la présente ordonnance, de veiller à l’adoption, provisoirement, de la délibération ou de tout élément sur le temps de travail des agents de la commune en application de l’article 47 de la loi du 6 août 2019 et de les transmettre au préfet de la Seine-Saint-Denis au titre du contrôle de légalité».
Il est toutefois à noter que cette injonction n’est assortie d’aucune astreinte laquelle était pourtant sollicitée par le Préfet de Seine-Saint-Denis dans des conditions parfaitement disproportionnée à savoir une astreinte mensuelle de 1 000 € par agent communal.
5. Au-delà des cas d’espèce, ces cinq ordonnances doivent alerter les collectivités n’ayant pas encore adopté de délibération mettant en conformité les règles sur le temps de travail des agents avec les dispositions de l’article 47 de la loi n°2019-828 du 6 août 2019.
La motivation retenue par le juge des référés près le tribunal administratif de Montreuil, pour rapide qu’elle soit sur le fond, ne laisse en effet que peu de doutes sur la tendance jurisprudentielle à venir à l’égard des collectivités n’ayant pas adopté une telle délibération.
Il sera toutefois rappelé que si la mise en place des 1 607 heures (journée de solidarité incluse) oblige les collectivités à ne plus maintenir les congés accordés réduisant la durée du temps de travail effectif sans base légale ou réglementaire, cette circonstance n’exclut pas la possibilité de réduire la durée annuelle de travail pour prendre en compte les sujétions liées à la nature des missions ; sous réserve que cette réduction soit dûment motivée par la délibération de l’organe délibérant.
En ce sens, l’article 2 du décret n°2001-623 du 12 juillet 2001 pris pour l’application de l’article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale dispose que :
« L’organe délibérant de la collectivité ou de l’établissement peut, après avis du comité technique compétent, réduire la durée annuelle de travail servant de base au décompte du temps de travail défini au deuxième alinéa de l’article 1er du décret du 25 août 2000 susvisé pour tenir compte de sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent, et notamment en cas de travail de nuit, de travail le dimanche, de travail en horaires décalés, de travail en équipes, de modulation importante du cycle de travail ou de travaux pénibles ou dangereux ».
La Cour administrative d’appel de Nantes, combinant l’obligation légale des 1 607 heures et la possibilité d’une réduction de la durée annuelle du travail pour en prendre en compte les sujétions liées à la nature des missions, juge ainsi que :
« 4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la fixation de la durée et de l’aménagement du temps de travail dans la fonction publique territoriale doit s’effectuer sur la base d’une durée annuelle de travail effectif de 1 607 heures, laquelle constitue à la fois un plancher et un plafond pour 35 heures de travail par semaine compte tenu des 104 jours de repos hebdomadaire, des 25 jours de congés annuels prévus par le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 et d’une moyenne annuelle de 8 jours fériés correspondant à des jours ouvrés. Cette durée annuelle de travail peut toutefois être réduite par décision expresse de l’organe délibérant de la collectivité et après avis du comité technique paritaire compétent pour tenir compte des sujétions liées à la nature des missions et à la définition des cycles de travail qui en résultent » (C.A.A. Nantes, 23 avril 2019, n°18NT00781).
Il importe donc aux collectivités et à leurs organes exécutants de veiller à l’adoption d’une telle délibération pour éviter qu’il ne leur soit enjoint d’y procéder.
Louis-Marie Le Rouzic
Avocat