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L’agent immobilier est garant de la conformité de la construction et de la surface habitable

L’acquéreur d’un bien immobilier qui se révèle d’une surface inférieure à ce qui est mentionnée dans l’annonce ou qui découvre que la construction qu’il vient d’acquérir a été édifiée en méconnaissance des règles d’urbanisme est-il en capacité de rechercher la responsabilité de l’agent immobilier.

L’agent immobilier, qui n’est pas un professionnel de la construction, n’a pas à vérifier les surfaces habitables ou la conformité des travaux accomplis par le vendeur.

Et bien si…

En se bornant à reprendre les informations erronées fournies par les vendeurs sans effectuer les vérifications qui s’imposaient ni même solliciter les éléments justifiant de la surface habitable l’agent immobilier commet une faute engageant sa responsabilité.

En ce sens, la Cour d’Appel de COLMAR avait déjà jugé que :

« Ce faisant, l’agence immobilière s’est manifestement bornée à reprendre les informations, vagues et largement erronées, fournies par le vendeur, sans effectuer aucune vérification et sans même solliciter aucun justificatif de la part de ce dernier.

Or, en sa qualité de professionnelle, elle devait solliciter et transcrire des informations précises et exactes sur la surface du bien cédé, qui fait partie des caractéristiques essentielles de ce bien, dans le compromis de vente auquel elle prêtait son concours. En manquant à une obligation aussi élémentaire et en indiquant une surface largement erronée, elle a commis une faute à l’égard des acquéreurs, d’autant plus que sa qualité de professionnelle ne pouvait que mettre ces derniers en confiance lors de la signature du compromis de vente » (C.A. COLMAR, 14 janvier 2021, n°19/02767).

La Cour de cassation considère quant à elle que l’agence immobilière engage sa responsabilité en cas d’erreur sur la surface habitable :

« Mais attendu qu’ayant relevé que l’attestation de superficie établie par la Compagnie nationale d’expertise et de mesurage comportait une erreur de mesurage grave et manifeste, en ce qu’elle indiquait une surface de 79,21 m² au rez-de-chaussée, alors que cette mesure comprenait l’ancienne cave transformée en réserve située en sous-sol, et que la société Foncia, professionnel de l’immobilier, qui connaissait parfaitement le local, aurait dû se rendre compte de cette erreur et demander au métreur de la rectifier et qu’il appartenait à la société Foncia et au notaire, rédacteur des actes d’achat et de vente, de vérifier les indications de cette attestation et, soit de faire modifier la surface légale, soit de mentionner une réserve concernant la cave reliée au rez-de-chaussée dans la promesse de vente et dans l’acte notarié, et souverainement retenu que ces fautes avaient causé un préjudice à la société CHW, consistant en la perte de chance de vendre son bien au prix d’évaluation auquel il avait été proposé, la cour d’appel, qui en a déduit que la société Constatimmo, la société Allianz IARD, la société Foncia et la SCP notariale devaient réparer l’entier préjudice de la société CHW, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ce chef » (C.Cass., 9 mars 2017, n°15-29.384).

Par un arrêt du 2 févier 2022, la Cour de cassation est venue confirmer que l’agent immobilier ne peut pas se retrancher derrière sa qualité de néophyte en matière de construction pour échapper à sa responsabilité :

« 4. L’agent immobilier fait grief à l’arrêt de le condamner, in solidum avec Mme [D] à payer aux acquéreurs, la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, toutes causes de préjudice confondues, alors « que l’agent immobilier, qui n’est pas un professionnel de la construction, n’a pas à vérifier la conformité des travaux accomplis par le vendeur sur le bien que ce dernier lui demande de vendre aux prescriptions du permis de construire obtenu par ce vendeur ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a retenu la responsabilité de la société JBS Conseil en considérant qu’elle était responsable de la publication d’une annonce mentionnant une superficie habitable de 110 m², et qu’elle avait admis avoir eu communication des permis de construire obtenus par M. et Mme [E], de sorte qu’elle avait nécessairement constaté que le permis de construire délivré en 1978 portait sur une surface habitable moitié moindre que celle précisée dans l’annonce et qu’il manquait sur le plan du permis la véranda, le garage et une troisième pièce ; qu’en se prononçant ainsi, tandis que l’agent immobilier, qui devait seulement vérifier l’existence des permis de construire mentionnés par les époux vendeurs, n’était pas tenu, en revanche, de vérifier la conformité des travaux accomplis par M. et Mme [E] aux prescriptions des permis de construire dont ils lui avaient indiqué l’existence, au contraire des notaires intervenus lors de la conclusion de l’acte authentique, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, devenu l’article 1240 du même code.

5. Après avoir relevé que l’agent immobilier avait publié une annonce mentionnant que le bien avait une surface habitable de 110 m² et rédigé la promesse de vente au vu des permis de construire, qui comportaient une surface habitable moitié moindre et sur lesquels manquaient manifestement la véranda, le garage et une troisième pièce, et retenu qu’il avait une parfaite connaissance de la teneur de ces documents et des lieux, la cour d’appel a pu en déduire que celui-ci avait commis une négligence et engagé ainsi sa responsabilité. » (Cass, 2 février 2022, n° 20-18.388)

La Cour de cassation confirme par ailleurs que même en présence d’un dol du vendeur, le manquement imputé à l’agence immobilière implique qu’elle indemnise la perte de chance de l’acquéreur d’avoir pu négocier le prix :

« 8. Après avoir retenu que, si les acquéreurs avaient eu connaissance du caractère illégal des constructions réalisées et de l’inconstructibilité attachée au bien, ils auraient pu renoncer à l’acquérir ou l’obtenir à un prix plus bas, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a pu en déduire que ceux-ci avaient perdu, par la faute de l’agent immobilier et le dol des vendeurs, la chance de le négocier à un tel prix et fixer, sans indemniser un préjudice hypothétique, le montant des dommages-intérêts à hauteur de la chance perdue. » (Cass, 2 février 2022, n° 20-18.388)

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit de la construction : responsabilité de l’entreprise qui a accepté le support

Aux termes d’un arrêt du 16 octobre 2014, la Cour d’appel de Nîmes est venue rappeler que le professionnel ne peut pas se retrancher derrière les défauts d’un support pour tenter d’échapper à sa responsabilité s’il n’a émis aucune réserve lors de son intervention.

Dans le cadre de la rénovation d’une maison d’habitation, un artisan-menuisier s’était vu confier la réalisation de travaux de menuiserie consistant en la dépose de fenêtres existantes, la fourniture et la pose de menuiserie neuves (12 fenêtres) en bois exotiques double vitrage.

A l’issue des travaux, les maîtres de l’ouvrage se sont plaints de malfaçons affectant les menuiseries.

Une expertise a été diligentée et les désordres ont été avérés.

Pour tenter d’échapper à sa responsabilité l’artisan a soutenu que les désordres étaient liés au mauvais état de la maçonnerie préexistante.

La Cour n’a pas suivi cette argumentation :

« Attendu que l’expertise démontre que les désordres constatés étaient apparents dès la fin de la pose ; qu’ils étaient donc apparents à la réception; qu’ils ont d’ailleurs fait l’objet de réserves , y compris quant à l’étanchéité , puisque la liste ci- dessus évoquée mentionne «étanchéité sous les pièces d’appui et entre les dormants et les murs ….. »; que l’expert a relevé des traces d’infiltration sous les appuis de fenêtres par manque d’étanchéité entre la menuiserie et la maçonnerie, par manque de regingot maçonné sur les appuis de fenêtre;

Attendu que les désordres étaient manifestes dans toute leur étendue ; que ce n’est que la cause qui a été révélée postérieurement par l’expertise; 

Attendu qu’en conséquence, tous les désordres relevés par l’expert P. étaient apparents et ont été dénoncés par les époux B. ; qu’ils relèvent de la garantie de parfait achèvement ; qu’il n’y a donc pas lieu à application de la garantie décennale ; 

Attendu qu’il convient en outre de relever qu’il appartenait à Mr C., en sa qualité de professionnel, de ne pas poser les menuiseries sur une maçonnerie inadaptée, non conforme et généralement en mauvais état, telle que décrite par l’expert ou en tout cas d’émettre des réserves; qu’il ne peut ainsi utilement se retrancher derrière les défauts de la maçonnerie pour échapper à sa responsabilité

Attendu que c’est à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité contractuelle de droit commun de Mr C. et l’a condamné à réparer les désordres exactement évalués par l’expert à la somme de 11 307, 92 euro. » (Cour d’appel, Nîmes, Chambre civile 1, section B, 16 Octobre 2014 – n° 13/01835)

Jérôme MAUDET

Avocat

Trouble du voisinage : perte de vue et d’ensoleillement

La construction d’une extension crée généralement des désagréments aux voisins déjà installés sur place.

Ces désagréments s’ils sont constitutifs d’un trouble ne sont pas, pour autant, constitutifs d’un trouble anormal du voisinage.

La Cour d’appel de MONTPELLIER a d’ailleurs estimé que l’obstruction d’une vue, à la supposer même « imprenable », ne constitue pas, à elle seule, un trouble anormal de voisinage :

« la vue dont jouit un propriétaire depuis sa maison n’est pas un droit susceptible en lui-même de protection tant qu’il n’y a pas de troubles dépassant l’inconvénient normal de voisinage.

Ainsi, en achetant un chalet implanté sur le lot No33 du « Lotissement du Lac», Les consorts Y… ne pouvaient ignorer que la « vue exceptionnelle sur le lac de MATEMALE et sur les Pyrénées » dont ils jouissaient n’était nullement garantie, et constituait un avantage précaire qui cesserait tôt ou tard lorsqu’une construction serait édifiée sur la parcelle voisine encore non bâtie du même lotissement, le fait que leur maison ait été édifiée en premier ne leur conférant aucune prééminence, aucun droit de s’opposer à des constructions ultérieures sur les fonds voisins.

En d’autres termes, la perte d’agrément – voire même de 25 % de la valeur de leur bien ainsi qu’ils le prétendent – pouvant résulter de la réduction de la vue causée par l’implantation du nouvel immeuble, ne peut être considérée en soi comme un trouble anormal ou excessif, dans la mesure où elle ne procède que de l’exercice du droit légitime du propriétaire voisin de construire dans le respect des règles en vigueur, sauf aux époux Y… à rapporter la preuve de circonstances particulières démontrant un abus de ce droit, générateur de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage.

Or force est de constater qu’ils se bornent à faire valoir que leur vue s’arrête désormais à la façade de ce bâtiment qui masque le panorama, mais n’apportent aucun élément concret permettant de démontrer que ce trouble présente un caractère anormal ni que l’immeuble n’a pas été édifié conformément au permis de construire et aux prescriptions d’urbanisme. Au contraire, les photographies produites révèlent que la construction qui les prive en partie de la vue sur le lac n’est pas un bâtiment particulièrement inesthétique, ou encore d’une hauteur de nature à générer un sentiment d’enfermement, mais un chalet en bois d’un étage de belle facture apparente, dans le style du pays.

Ne rapportant pas dès lors la preuve de l’existence des troubles anormaux de voisinage qu’ils invoquent, les consorts Y… seront en conséquence déboutés de toutes leurs demandes. »  (CA MONTPELLIER, 3 juin 2008, N°07/4081).

S’agissant de la perte d’ensoleillement, la jurisprudence a coutume de rappeler que les avantages dont bénéficie un propriétaire, tels qu’une vue dégagée ou un ensoleillement important, ne sont pas des droits acquis, sauf à rendre impossible toute évolution du tissu construit.

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 6 avril 1993), que M. X… ayant édifié une construction en limite de sa propriété, contiguë à celle de M. Y…, ce dernier se plaignant d’une diminution de l’ensoleillement et de l’éclairement, l’a assigné en dommages-intérêts en invoquant un trouble anormal de voisinage ; (…)

Mais attendu que l’arrêt retient que M. Y… n’est pas fondé à se plaindre d’une diminution de l’ensoleillement et de l’éclairement de sa maison par suite de l’extension de la construction de M. X… en limite de sa propriété et de la perte d’un avantage nécessairement précaire au centre d’une agglomération très peuplée, cet inconvénient ne constituant pas en de telles circonstances un trouble anormal de voisinage ; » (Cass. Civ. 2, 3 mai 1995, pourvoi: N°93-15920)

La Cour d’appel de CAEN a d’ailleurs rappelé qu’en dépit d’une perte d’ensoleillement avérée, la construction d’un hôtel n’est pas de nature à justifier une action pour trouble anormal du voisinage.

« Ne constitue pas un trouble anormal de voisinage l’édification, sur un terrain jouxtant l’immeuble des revendiquants, d’un hôtel.

 En effet, les propriétaires d’appartements n’ont d’une part aucun droit acquis opposable à la société d’investissement de bénéficier d’une vue sur la mer telle qu’elle empêche la construction d’un immeuble de 3 ou 4 étages. (…)

Enfin, sur l’ensoleillement, dans une zone relativement urbanisée, une perte d’ensoleillement en fin de soirée est dans l’ordre des choses, étant observé que la clarté peut continuer sans ensoleillement direct. » (Cour d’appel de Caen, 17 Mars 2009, N°07/03576).

Par un arrêt du même jour la Cour d’appel de MONTPELLIER a confirmé cette position :

« la perte d’ensoleillement, limitée, qui procède de l’exercice du droit légitime du propriétaire voisin d’édifier une maison, ne constitue pas, alors que les constructions sont situées dans un milieu urbain et constructible où nul ne dispose d’un droit acquis sur l’environnement et où chacun peut s’attendre à être privé d’un avantage en fonction de l’évolution du contexte, un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage et ouvrant droit à réparation. » (Cour d’appel de MONTPELLIER, 17 mars 2009, N° 07/03576).

Jérôme MAUDET

Avocat au barreau de NANTES

 

Accident de la circulation et responsabilité de la collectivité

En cas d’accident et notamment de chute sur la voie publique, la responsabilité de la collectivité est susceptible d’être recherchée de plein droit.

Il s’agit en effet d’un régime de responsabilité pour faute présumée.

La victime n’aura donc pas à établir l’existence d’une carence de la part de la collectivité mais seulement d’un préjudice en lien avec l’accident.

La collectivité pourra tenter de s’exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en établissant l’existence d’un entretien normal de l’ouvrage public en cause.

En effet, bien qu’il s’agisse d’un régime de responsabilité pour faute présumée, cette présomption n’est pas irréfragable.

La Cour administrative de DOUAI a ainsi pu estimer que :

« le 27 juin 1991, sous l’effet d’une bourrasque, la partie supérieure d’un marronnier de la place du jeu de Paume à Beauvais s’est abattue sur le stand de fête foraine de M. Daniel Penon ; qu’il résulte de l’instruction, et notamment des rapports d’expertise et d’un constat effectué le jour du sinistre, que l’aspect extérieur de l’arbre, lequel était régulièrement entretenu, ne permettait pas de suspecter sa dangerosité ; qu’ainsi, la commune de Beauvais apporte la preuve de l’entretien normal de la voie publique ; que, dès lors, M. Daniel Penon n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d’Amiens a rejeté sa demande ; » (Cour administrative d’appel de Douai, 9 avril 2002, N° 99DA01076 )

Cette démonstration peut se faire par tout moyen (Cour administrative d’appel de Nantes, 14 mars 2002, N° 98NT01890) :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction, notamment du procès-verbal de gendarmerie, qui fait foi jusqu’à preuve contraire, et du document établi par la direction départementale de l’équipement, qu’à la date de l’accident les travaux de construction du carrefour giratoire étaient achevés depuis le 23 juin 1993, à la seule exception de l’installation d’un éclairage public ;  qu’à cette même date la signalisation définitive de l’ouvrage avait été mise en place et comprenait une signalisation au sol et le long de la voie, outre des panneaux signalant la modification du régime de priorité au carrefour et informant les usagers des travaux, qui avaient été laissés en place après la fin du chantier ; qu’elle comportait à, respectivement, 212 mètres et 83 mètres du centre du carrefour, un panneau de danger A 25 situé à 167 mètres du même point et un panneau de danger AB 3 « cédez le passage » à 30 mètres ; que ces panneaux étaient rétro réfléchissants et qu’il n’est pas établi, en particulier par les attestations produites par M. PAYELLE, qu’ils auraient été en tout ou partie masqués par des arbres en venant d’Orvault ; que dans ces conditions, alors même que l’éclairage public, au demeurant non obligatoire, ne fonctionnait pas encore et que d’autres accidents, impliquant des usagers également non habitués à la présence de ce nouveau carrefour giratoire sur une portion de route qui formait jusqu’alors une longue ligne droite, se seraient également produits au même endroit à la même période, le département de la Loire-Atlantique rapporte la preuve qui lui incombe de l’entretien normal de l’ouvrage ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. PAYELLE n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la condamnation du département de la Loire-Atlantique ; »

Jérôme MAUDET

Avocat