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« Amen je vous le dis » : Le Tribunal des conflits touché par SAINT ESPRIT

Aux termes de l’article 16 de la loi du 24 mai 1872 :

 » Le Tribunal des conflits est seul compétent pour connaître d’une action en indemnisation du préjudice découlant d’une durée totale excessive des procédures afférentes à un même litige et conduites entre les mêmes parties devant les juridictions des deux ordres en raison des règles de compétence applicables et, le cas échéant, devant lui ».

Après douze longues années de chemin de croix procédural et un refus du ministre de la justice, la commune de SAINT ESPRIT a prié le Tribunal des conflits de réparer son préjudice moral.

Celui-ci a d’abord rappelé en début de sermon que « le caractère excessif du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier en tenant compte des spécificités de chaque affaire et en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement des procédures et le comportement des parties tout au long de celles-ci, ainsi que l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre partie au litige, à ce que celui-ci soit tranché rapidement. »

Au cas d’espèce, il a estimé qu’ayant bu le calice jusqu’à la lie, la commune était bien fondée à demander réparation de son préjudice moral.

Il a donc invité l’Etat à se repentir et à faire pénitence en ces termes :

« 10. La durée totale des procédures contentieuses depuis la saisine de la juridiction judiciaire par la société le 10 mai 2007 jusqu’à la décision du 12 juin 2019 par laquelle le Conseil d’Etat n’a pas admis le pourvoi formé par le mandataire liquidateur de la société, qui est de plus de douze ans, doit être regardée comme excessive en l’espèce, compte tenu de l’absence de complexité spécifique du litige. Par suite, la responsabilité de l’Etat est engagée.

11. Cette durée excessive a occasionné pour la commune un préjudice moral lié à une situation prolongée d’incertitude. Dans les circonstances de l’espèce, il en sera fait une juste appréciation en condamnant l’Etat à verser à la commune une indemnité de 4 000 euros au titre de ce préjudice.» (Tribunal des Conflits, 08/06/2020, C4185)

Ainsi soit-il !

 

Jérôme MAUDET

Avocat

 

Expulsion : Refus de concours de la force publique et référé liberté.

Aux termes de l’article L.153-1 du Code des procédures civiles d’exécution:

« L’Etat est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation. »

En pratique, passé un délai de deux mois à compter de la demande de concours de la force publique, la responsabilité de l’Etat est susceptible d’être recherchée en cas de refus opposé au requérant.

Il s’agit d’un régime de responsabilité sans faute qui implique uniquement la démonstration d’un lien de causalité entre le préjudice dont il est demandé réparation et le refus opposé.

Par un arrêt du 1er juin 2017 le Conseil d’Etat a ouvert une nouvelle voie procédurale au propriétaire par le biais du référé liberté.

Le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’un requérant qui s’est vu opposer un refus de concours de la force publique a la possibilité de rechercher la condamnation de l’Etat à réparer l’atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété causé par le refus de concours :

« 2. Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :  » Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. (…)  » ; qu’aux termes de l’article L. 521-2 de ce code :  » Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (…)  » ;

3. Considérant, d’une part, que le propriétaire auquel le préfet a refusé le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants sans titre de son bien peut saisir le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation de ce refus, qu’il lui est loisible d’assortir de conclusions tendant à ce que le tribunal enjoigne au préfet de lui accorder le concours ; que, lorsqu’il a introduit un tel recours, le propriétaire peut demander au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-1 précité du code de justice administrative, de suspendre la décision préfectorale dans l’attente du jugement au fond ; que la condition d’urgence à laquelle cette voie de droit est subordonnée doit alors être appréciée en tenant compte de l’atteinte aux intérêts du propriétaire résultant de la poursuite de l’occupation irrégulière de son bien ; que si, constatant l’urgence et retenant l’existence d’un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le juge des référés prononce la suspension demandée, il lui appartient, saisi de conclusions en ce sens, d’ordonner au préfet de réexaminer la demande de concours de la force publique ; qu’en revanche, eu égard au caractère définitif que revêtirait une telle mesure, il ne lui appartient pas, sur le fondement de l’article L. 521-1, d’ordonner la réalisation de l’expulsion ;

4. Considérant, d’autre part, que le refus de concours de la force publique opposé au propriétaire est susceptible de revêtir, au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le caractère d’une atteinte grave à une liberté fondamentale ; que l’usage par le juge des référés des pouvoirs qu’il tient des dispositions de cet article est toutefois subordonné à la condition qu’une urgence particulière rende nécessaire l’intervention dans les quarante-huit heures d’une mesure de sauvegarde ; que, le juge des référés saisi sur ce fondement peut, s’il estime que cette condition est remplie eu égard aux circonstances particulières invoquées devant lui par le propriétaire, et si le refus de concours est manifestement illégal, enjoindre au préfet d’accorder ce concours dans la mesure où une telle injonction est seule susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte ;

5. Considérant que, pour rejeter pour défaut d’urgence la demande présentée par la SCI La Marne Fourmies sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux a relevé que cette dernière n’avait pas saisi le juge administratif d’un recours en excès de pouvoir contre les décisions préfectorales lui refusant le concours de la force publique et qu’elle ne mentionnait aucune circonstance faisant obstacle à ce qu’un nouvel avenant reporte une deuxième fois la date limite fixée par la promesse unilatérale de vente conclue avec la société Domofrance pour la libération des lieux ; que, toutefois, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que la SCI cherchait à obtenir depuis octobre 2009 l’exécution des décisions de justice ordonnant l’expulsion des occupants sans titre de son bien, qu’elle justifiait de l’existence d’un projet de vente en cours, dont le succès était subordonné à la libération des lieux dans un certain délai, dont l’expiration était proche, et que le préfet n’avait pas donné suite aux multiples démarches qu’elle avait accomplies depuis plusieurs mois afin que l’expulsion soit réalisée dans ce délai ; que l’administration n’alléguait pas que les opérations d’expulsion auraient été susceptibles d’entraîner des troubles à l’ordre public ; que, dans ces conditions, en estimant que la condition d’urgence posée par l’article L. 521-2 du code de justice administrative n’était pas remplie, le juge des référés a porté sur les circonstances de l’espèce une appréciation entachée de dénaturation ; que son ordonnance doit, par suite, être annulée ; (…)

7. Considérant, d’une part, qu’il résulte de ce qui a été dit au point 5 qu’à la date d’introduction de sa requête, la SCI La Marne Fourmies justifiait, eu égard à l’ancienneté de la procédure d’expulsion, des multiples démarches engagées auprès de l’Etat en vue de sa mise en oeuvre, de l’existence d’un projet de vente en cours, dont l’aboutissement était subordonné à la libération des locaux à une brève échéance, et alors que l’administration ne faisait pas état de risques de troubles à l’ordre public, que la condition d’urgence posée par l’article L. 521-2 du code de justice administrative était remplie ; que si les défendeurs soutiennent que l’urgence a disparu depuis le 23 décembre 2016, date limite fixée par la promesse de vente conclue avec la société Domofrance pour la signature de l’acte authentique, il résulte de l’instruction qu’un nouvel avenant au contrat, conclu le 15 mai 2017, a prorogé jusqu’au 30 juin prochain les effets de cette promesse ; qu’ainsi, la condition d’urgence demeure remplie à la date de la présente décision ;

8. Considérant, d’autre part, que le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d’un bien ; qu’en l’absence de tout motif d’ordre public de nature à justifier le refus du préfet de la Gironde d’accorder à la société requérante le concours de la force publique pour l’exécution des décisions de justice ordonnant la libération des locaux litigieux, ce refus porte à cette liberté fondamentale une atteinte manifestement illégale ;

9. Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner au préfet de la Gironde de prendre toutes mesures nécessaires afin de procéder à l’expulsion de la société Bowling de Bordeaux des locaux commerciaux qu’elle occupe au 244, avenue de la Marne à Mérignac, dans les trois mois à compter de la notification de la présente décision ; qu’en cas d’inexécution de cette injonction au terme de ce délai, l’Etat est condamné à une astreinte de 250 euros par jour de retard ; »   (CE, 01/06/2017, n°406103)

Jérôme MAUDET

Avocat au Barreau de Nantes.