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Droit de la construction : en l’absence de réserve à la réception impossible de rechercher la responsabilité contractuelle du Maître d’Oeuvre

Par un arrêt du 2 décembre 2019 qui sera mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle d’un maître d’oeuvre à la suite des opérations de réception.

Les juges du palais Royal ont d’abord rappelé que :

« la réception d’un ouvrage est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserve et qu’elle vaut pour tous les participants à l’opération de travaux. »

Il en résulte, selon eux, que même si elle n’est prononcée qu’à l’égard de l’entrepreneur elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l’ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l’ouvrage.

Elle interdit, par conséquent, au maître de l’ouvrage sous réserve de la garantie de parfait achèvement d’invoquer :

  • des désordres apparents causés à l’ouvrage
  • des désordres causés aux tiers pour lesquels il est réputé avoir renoncé à demander réparation .

Le Conseil d’Etat poursuit en indiquant que :

« 7. Si, aux termes des stipulations de l’article 32 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles, applicable au marché de maîtrise d’oeuvre en cause :  » Les prestations faisant l’objet du marché sont soumises à des vérifications destinées à constater qu’elles répondent aux stipulations prévues dans le marché (…) « , et aux termes des stipulations de l’article 33.2 du même cahier :  » La personne responsable du marché prononce la réception des prestations si elles répondent aux stipulations du marché. La date de prise d’effet de la réception est précisée dans la décision de réception ; à défaut, c’est la date de notification de cette décision (…) « , il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu’indépendamment de la décision du maître d’ouvrage de réceptionner les prestations de maîtrise d’oeuvre prévue par les stipulations précitées de l’article 32 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles, la réception de l’ouvrage met fin aux rapports contractuels entre le maître d’ouvrage et le maître d’oeuvre en ce qui concerne les prestations indissociables de la réalisation de l’ouvrage, au nombre desquelles figurent, notamment, les missions de conception de cet ouvrage.

8. Il suit de là qu’en justifiant par le fait que la réception de l’ouvrage n’a pas pour objet de constater les éventuelles fautes de conception imputables au maître d’oeuvre de l’opération, lesquelles ont vocation à être constatées et réservées, le cas échéant, à l’occasion de la réception des prestations du marché de maîtrise d’oeuvre, le constat que cette réception ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité contractuelle des maîtres d’oeuvre soit recherchée à raison des fautes de conception qu’ils ont éventuellement commises, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit. » (CE 2 décembre 2019, n°423544)

 

En revanche, la réception demeure sans effet sur les droits et obligations financiers nés de l’exécution du marché, à raison notamment de retards ou de travaux supplémentaires, dont la détermination intervient définitivement lors de l’établissement du solde du décompte définitif.

Seule l’intervention du décompte général et définitif du marché a pour conséquence d’interdire au maître de l’ouvrage toute réclamation à cet égard.

Dans le cas d’espèce, la responsabilité solidaire des maîtres d’oeuvre demeure donc engagée dès lors que nonobstant la réception, le maître d’ouvrage est fondé à rechercher et appeler en garantie le maître d’oeuvre sur le fondement de la faute à la double condition cumulative :

  • que la nécessité de procéder à des travaux complémentaires ne soit apparue que postérieurement à la passation du marché en raison d’une mauvaise évaluation initiale
  • que le maître d’ouvrage établisse qu’il aurait renoncé à son projet de construction ou modifié celui-ci s’il en avait été avisé en temps utile

 

Jérôme MAUDET

Avocat

Droit de la construction : responsabilité de l’entreprise qui a accepté le support

Aux termes d’un arrêt du 16 octobre 2014, la Cour d’appel de Nîmes est venue rappeler que le professionnel ne peut pas se retrancher derrière les défauts d’un support pour tenter d’échapper à sa responsabilité s’il n’a émis aucune réserve lors de son intervention.

Dans le cadre de la rénovation d’une maison d’habitation, un artisan-menuisier s’était vu confier la réalisation de travaux de menuiserie consistant en la dépose de fenêtres existantes, la fourniture et la pose de menuiserie neuves (12 fenêtres) en bois exotiques double vitrage.

A l’issue des travaux, les maîtres de l’ouvrage se sont plaints de malfaçons affectant les menuiseries.

Une expertise a été diligentée et les désordres ont été avérés.

Pour tenter d’échapper à sa responsabilité l’artisan a soutenu que les désordres étaient liés au mauvais état de la maçonnerie préexistante.

La Cour n’a pas suivi cette argumentation :

« Attendu que l’expertise démontre que les désordres constatés étaient apparents dès la fin de la pose ; qu’ils étaient donc apparents à la réception; qu’ils ont d’ailleurs fait l’objet de réserves , y compris quant à l’étanchéité , puisque la liste ci- dessus évoquée mentionne «étanchéité sous les pièces d’appui et entre les dormants et les murs ….. »; que l’expert a relevé des traces d’infiltration sous les appuis de fenêtres par manque d’étanchéité entre la menuiserie et la maçonnerie, par manque de regingot maçonné sur les appuis de fenêtre;

Attendu que les désordres étaient manifestes dans toute leur étendue ; que ce n’est que la cause qui a été révélée postérieurement par l’expertise; 

Attendu qu’en conséquence, tous les désordres relevés par l’expert P. étaient apparents et ont été dénoncés par les époux B. ; qu’ils relèvent de la garantie de parfait achèvement ; qu’il n’y a donc pas lieu à application de la garantie décennale ; 

Attendu qu’il convient en outre de relever qu’il appartenait à Mr C., en sa qualité de professionnel, de ne pas poser les menuiseries sur une maçonnerie inadaptée, non conforme et généralement en mauvais état, telle que décrite par l’expert ou en tout cas d’émettre des réserves; qu’il ne peut ainsi utilement se retrancher derrière les défauts de la maçonnerie pour échapper à sa responsabilité

Attendu que c’est à juste titre que le premier juge a retenu la responsabilité contractuelle de droit commun de Mr C. et l’a condamné à réparer les désordres exactement évalués par l’expert à la somme de 11 307, 92 euro. » (Cour d’appel, Nîmes, Chambre civile 1, section B, 16 Octobre 2014 – n° 13/01835)

Jérôme MAUDET

Avocat