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Collectivités : vente de biens privés et mise en concurrence

Par un arrêt du 19 mars 2002, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a déjà admis la validité d’une vente qui prévoyait la construction d’un ensemble immobilier devant ensuite faire l’objet d’une division dont un lot devait revenir à la commune :

« Considérant que, par délibération du 16 décembre 1988, le conseil de communauté de la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX a autorisé son président à signer avec la S.A.R.L. Porte de Bordeaux un contrat par lequel cette société construirait et vendrait à la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX, dans les conditions prévues à l’article 1601-3 du code civil, 714 places de stationnement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, que si ce contrat tendait à la réalisation d’un parc public de stationnement, il n’avait pas pour objet la construction d’un immeuble que la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX aurait conçu en fonction de ses besoins propres et selon des caractéristiques qu’elle aurait elle-même définies ; que la vente ne concernait qu’une partie d’un ensemble immobilier sur l’édification duquel la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX n’exerçait aucun contrôle ni surveillance particulière, la S.A.R.L. Porte de Bordeaux étant maître de l’ouvrage ; qu’il suit de là que la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX est fondée à soutenir que c’est à tort que, pour rejeter son action en responsabilité décennale, le tribunal administratif de Bordeaux a considéré que le contrat litigieux constituait un marché de travaux publics irrégulièrement conclu ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le contrat conclu entre la S.A.R.L. Porte de Bordeaux et la société Spie Sud-Ouest le 26 janvier 1989 pour la construction du parc de stationnement litigieux est un marché de travaux privés ; que la circonstance que le droit d’exercer l’action en garantie décennale ait été transmis à la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX en vertu de l’article 1601- 3 du code civil après la réception de l’ouvrage ne saurait avoir pour effet de modifier la nature juridique de ces travaux dont la juridiction judiciaire peut seule connaître ; que par suite la demande de la COMMUNAUTE URBAINE DE BORDEAUX enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 28 mai 1993 doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; » (CAA Bordeaux 19 mars 2002, Cté urbaine de Bordeaux, req. n°97BX01384).

La Cour de justice de l’Union européenne tempère toutefois ce principe et considère qu’une convention peut être qualifiée de marché public de travaux si le contrat prévoit une implication de la personne publique ou répond à un besoin autre que la simple vente. (CJCE 25 mars 2010, Helmut Müller GmbH, aff. C-451/08).

En substance,  les ventes qui ne sont pas exclusivement destinées à céder un bien du domaine privé doivent être précédées d’une mise en concurrence.

La commune doit donc garder à l’esprit qu’il existe un risque de qualification dès lors que la commune souhaite être associée au moins indirectement à la réalisation du projet et qu’elle a vocation à acquérir un ou plusieurs lots in fine.

S’agissant des ventes réalisées par les collectivités, il n’est pas anodin de rappeler que la loi prévoit que les actes des personnes publiques peuvent être reçus par les notaires mais également par les maires ou présidents de conseil départemental voire le préfet également officiers publics. 

En pratique, l’acte authentique peut donc prendre la forme d’un acte administratif dont le coût peut s’avérer bien plus intéressant pour l’acquéreur tout en présentant les mêmes garanties.

Jérôme MAUDET

Avocat

Annulation d’une décision de préemption et rétrocession de l’immeuble à l’acquéreur évincé.

L’annulation d’une décision de préemption par le juge administratif, implique en principe de remettre les parties dans l’état dans lequel elles étaient avant la décision de préemption.

Il convient toutefois de tempérer cette affirmation à la lumière de la jurisprudence

Le Conseil d’Etat a en effet considéré en pareille hypothèse que :

« Considérant que l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de l’acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d’exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n’ayant jamais décidé de préempter ; qu’ainsi,  cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l’intérêt général appréciée au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le titulaire, s’il n’a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée. » (Conseil d’Etat, 29 décembre 2004, SCI Desjardins KB, n° 259855, Lebon 839).

De même :

« Considérant en revanche que lorsque le bien préempté a été revendu, ni les dispositions précitées de l’article L 911-1 du Code de justice administrative, ni aucune autre disposition ne permettent à la juridiction administrative, saisie en vue de faire exécuter l’annulation de la seule décision de préemption, de prescrire des mesures qui, tendant à la remise en cause de la revente du bien, se rattachent ainsi à un litige distinct portant sur la légalité de cette décision de revente et ne sauraient, dès lors, être regardées comme étant au nombre de celles qu’implique l’annulation de la décision de préemption ; que si les requérants font en l’espèce valoir que la préemption du domaine de la COMMUNAUTE DES MONIALES DOMINICAINES DE CLAIREFONTAINE-EN-YVELINES et sa revente à la Fédération française de football forment un tout indissociable, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus, que cette revente fait obstacle à ce que soient mises en œuvre les mesures qui, à défaut, permettraient d’exécuter l’annulation de la préemption » (Conseil d’Etat, 26 février 2003, M. et Mme BOUR, n° 231558).

Il résulte de cette jurisprudence que l’absence de revente du bien est une condition nécessaire à la remise des parties dans l’état dans lequel elles étaient avant la décision de préemption.

Le juge administratif a d’ailleurs considéré que la revente du bien, dont on saura postérieurement qu’il a été illégalement préempté, ne peut être annulée du simple fait de l’illégalité de la décision de préemption :

« Les décisions par lesquelles une commune préempte un bien puis le revend, entre lesquelles s’interpose un acte authentique opérant le transfert de propriété, ne forment pas entre elles un ensemble indissociable qui justifierait que l’annulation de la première entraîne par voie de conséquence celle de la seconde » (Conseil d’Etat, 26 nov. 2001, n° 222211, Commune de la Teste de Buch).

Voir également en ce sens (CE, 21 novembre 2008, N° 302144) :

« Les biens acquis par l’exercice du droit de préemption doivent être utilisés ou aliénés (…) ;

Considérant, en dernier lieu, que c’est sans contradiction de motifs et par là-même, sans erreur de droit, que la cour administrative d’appel de Douai, pour écarter le moyen de M. A tiré de ce que cette dernière délibération devait être annulée en raison de l’annulation de celle qui avait décidé de préempter, a jugé que les décisions par lesquelles une commune préempte un bien puis le revend, entre lesquelles s’interpose l’acte authentique opérant le transfert de propriété, ne forment pas entre elles un ensemble indissociable qui justifierait que l’annulation de la première entraîne par voie de conséquence l’annulation de la seconde ; »

Ainsi, la rétrocession du bien au profit de l’acquéreur évincé et l’annulation subséquente de la vente intervenue postérieurement ne sont pas de droit.

Au contraire, en matière d’expropriation, le droit de rétrocession, institué par l’article L 12-6 du Code de l’expropriation, ne comporte pas de droit de suite.

Il doit nécessairement en aller de même lorsque le bien préempté a été vendu à un tiers et, a fortiori, lorsque le dit bien se situe dans l’emprise d’une opération déclarée d’utilité publique.

Enfin, l’article 1599 du Code civil dispose que la vente de la chose d’autrui est nulle, la jurisprudence étant constante pour déclarer que cette nullité est relative et ne peut bénéficier qu’au seul acquéreur qui a seul qualité pour l’invoquer (exemple : Civ. III, 9 mars 2005, Bull. civ. III, n° 63).

« Attendu que pour déclarer M. X… recevable en son action, l’arrêt retient que si l’action en nullité de la chose d’autrui n’appartient qu’à l’acquéreur, ceci vaut pour écarter l’action du vendeur mais non celle du véritable propriétaire ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en nullité de la vente de la chose d’autrui ne peut être demandée que par l’acquéreur et non par le véritable propriétaire qui ne dispose que d’une action en revendication, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; »

Sous réserve de l’appréciation de la juridiction éventuellement saisie, il peut donc être soutenu qu’un acquéreur évincé ne saurait utilement prétendre bénéficier de la règle de l’article 1599 du Code civil.

Par un arrêt récent du 21 octobre 2009, la Cour de cassation est venue confirmer que la rétrocession d’un bien au profit de l’acquéreur évincé, à la suite d’une annulation d’une décision de préemption, n’est pas de droit comme le prétend la SCI demanderesse.

La Cour de cassation confirme cette analyse au motif que l’annulation de la décision de préemption ne saurait, à elle seule, suffire à entraîner de plein droit l’annulation des ventes subséquentes :

« Attendu que pour accueillir la demande, l’arrêt, après avoir constaté que le droit de préemption avait été irrégulièrement exercé par le maire, retient que la préemption et la vente de l’immeuble à l’établissement public qui en découle s’inscrivent dans la poursuite d’un objectif d’intérêt général, que les biens litigieux n’ont été l’objet d’aucun aménagement particulier ou intégration au domaine public, mais que l’attentisme de la commune paralyse en même temps l’exercice normal par l’acquéreur évincé du droit réel qu’il tient d’une vente dont la régularité n’est pas discutée, de sorte que, dans la balance des intérêts légitimes en présence, les ventes consécutives à l’exercice irrégulier du droit de préemption doivent être annulées par le juge judiciaire du contrat, privé en la forme ;

Qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a fait application des dispositions de l’article L. 911 1 du code de justice administrative qui régissent la demande, faite au juge administratif, de prescrire les mesures d’exécution qu’implique nécessairement la décision d’annulation d’une décision de préemption, a violé les textes susvisés » (Cass. 3e civ., 21 oct. 2009, n° 08-11.162, FS-P+B, Commune d’Hermanville sur Mer c/ Doublet : JurisData n° 2009-050148).

Jérôme MAUDET

Avocat au barreau de Nantes

 

Collectivités : une commune peut-elle déroger à l’avis des domaines dans le cadre d’une vente immobilière ?

France-Domaine a remplacé le service des Domaines depuis 2006.

Ce service est sous l’autorité du préfet et sous la responsabilité du trésorier payeur général. France-Domaine est appelée à émettre des avis sur la valeur vénale ou locative des biens immobiliers en cas d’acquisition, de location ou de vente.

La consultation du service des domaines est obligatoire pour les projets d’acquisitions d’immeubles ou de droits réels immobiliers ainsi que pour les prises à bail dès lors que l’opération projetée dépasse un certain seuil.

D’autre part, l’article L. 2241-1 du Code général des collectivités territoriales précise les conditions dans lesquelles le service des domaines doit être consulté en matière d’aliénation d’un bien immobilier de la commune :

« Le conseil municipal délibère sur la gestion des biens et les opérations immobilières effectuées par la commune, sous réserve, s’il s’agit de biens appartenant à une section de commune, des dispositions des articles L. 2411-1 à L. 2411-19.

Le bilan des acquisitions et cessions opérées sur le territoire d’une commune de plus de 2 000 habitants par celle-ci, ou par une personne publique ou privée agissant dans le cadre d’une convention avec cette commune, donne lieu chaque année à une délibération du conseil municipal. Ce bilan est annexé au compte administratif de la commune.

Toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles. Le conseil municipal délibère au vue de l’avis de l’autorité compétente de l’Etat. Cet avis est réputé donné à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la saisine de cette autorité. »

L’avis des domaines est un avis simple.

La commune dispose en effet d’une marge d’appréciation pour fixer le prix.

Voir notamment en ce sens une réponse du Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie publiée dans le JO Sénat du 13/01/2005 :

« La consultation du service des domaines par les collectivités territoriales, et notamment les communes, est essentiellement régie par deux dispositions.

D’une part, l’article 23 de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (Journal officiel du 12 décembre 2001, page 19703) dispose que les projets d’acquisitions d’immeubles ou de droits réels immobiliers par les collectivités territoriales et les personnes qui en dépendent, ainsi que les prises à bail, doivent être précédés, avant toute entente amiable, d’une demande d’avis du directeur des services fiscaux dès lors que l’opération projetée dépasse un certain seuil fixé par l’autorité administrative compétente.

En outre, les acquisitions poursuivies par voie d’expropriation pour cause d’utilité publique doivent être également précédées d’un avis du directeur des services fiscaux sans montant minimum.

Ces seuils ont été fixés respectivement à 75 000 euros en valeur vénale pour les projets d’acquisition et à 12 000 euros de loyer annuel, charges comprises, pour les prises à bail, par l’arrêté du 17 décembre 2001 publié au Journal officiel du 1er janvier 2002.

Pour les collectivités territoriales et les personnes qui en dépendent, ces dispositions se substituent à celles du décret n° 86-455 du 14 mars 1986.

La simple obligation de délibérer au vu de l’avis du service domanial remplace désormais la décision expresse de passer outre naguère exigée des consultants qui entendaient, le cas échéant, poursuivre l’opération en retenant des conditions financières supérieures à l’évaluation domaniale.

D’autre part, l’article 11 de la loi n° 95-127 du 8 février 1995, relative aux marchés publics et délégation de services publics, dispose que toute cession d’immeubles ou de droits réels immobiliers par une commune de plus de 2 000 habitants donne lieu à délibération motivée du conseil municipal portant sur les conditions de la vente et ses caractéristiques essentielles.

Le conseil municipal délibère au vu de l’avis du service des domaines.

En revanche, il n’existe pas de seuil minimum de consultation ni de procédure de passer outre.

La commune peut procéder à une cession en retenant un prix différent de la valeur déterminée par le service des domaines mais la motivation de la délibération doit, notamment, porter sur le prix. »

L’avis du service des Domaines ne lie donc pas la collectivité, qui peut toujours en vertu du principe de libre administration, décider de passer outre (TA Montpellier, 28 nov. 2001, n° 971709, Assoc. Saint-Cyprien ma ville).

L’avis rendu par France Domaine est en effet un avis simple ce qui implique que la collectivité peut procéder à une cession en retenant un prix différent de celui qui résulte de l’évaluation domaniale.

L’évaluation des Domaines sert toutefois de point d’appui aux contrôles qu’exercent le Préfet, le juge des comptes et les juridictions administratives sur les opérations de vente.

La juridiction administrative éventuellement saisie vérifiera ainsi à partir de l’avis de France Domaine si le prix fixé par la délibération ne révèle pas une erreur manifeste d’appréciation de la commune:

Le Conseil d’Etat a ainsi annulé une vente consentie à un prix très inférieur au prix fixé par le service domaines.

« Considérant qu’après avoir relevé que la commune de Courtenay n’entendait pas soutenir qu’elle avait entendu consentir à l’acquéreur du bien une aide indirecte sur le fondement des dispositions de l’article L. 1511-3 du code général des collectivités territoriales , la cour a, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, constaté que la dernière évaluation du service des domaines, ramenant la valeur vénale du bien à une somme comprise entre 710 000 euros et 770 000 euros, avait pris en compte la circonstance que la commune n’avait pas réalisé certains travaux de rénovation, alors que le prix de cession de ce bien avait été fixé par la délibération du 29 avril 2002 du conseil municipal à 533 571 euros ; que c’est sans erreur de droit que la cour en a déduit, par un arrêt suffisamment motivé, que cette vente consentie à un prix très inférieur à l’estimation du service des domaines, dont elle a jugé par une appréciation souveraine qu’il correspondait à la valeur vénale de l’immeuble, avait été illégalement décidée ; que, par suite, la commune de Courtenay n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant qu’il statue sur la légalité de sa délibération ; » (CE, 8e et 3e ss-sect., 25 sept. 2009, n° 298918, Cne de Courtenay : JurisData n° 2009-009520)

Il résulte de ce qui précède que si la collectivité n’est pas liée par l’avis, elle ne saurait l’ignorer totalement pour s’en éloigner de manière trop conséquente sous peine d’encourir une annulation de l’acte autorisant la vente pour erreur manifeste d’appréciation.

En tout état de cause, la loi impose une délibération « portant sur les conditions de la vente et les caractéristiques essentielles ».

La motivation de cette délibération devra porter sur la décision de céder, le prix, le choix de l’acquéreur et les droits et obligations respectives du cédant et du cessionnaire.

Devront également figurer dans la délibération les conditions et caractéristiques essentielles de la cession ou de la situation physique de l’immeuble.

Jérôme MAUDET